
20 avril marque un tournant de l’histoire de l’Algérie. Le Printemps berbère de 1980 n’est pas un simple épisode contestataire : c’est un cri de dignité. Ce cri, lancé par des milliers de citoyens – étudiants, enseignants, travailleurs – ne demandait qu’une seule chose : le droit d’exister en tant qu’Imazighen, dans une Algérie multiple et authentique.
Mais 45 ans plus tard, nous sommes contraints de poser une question douloureuse : l’État algérien a-t-il réellement entendu ce cri ? Ou a-t-il préféré l’étouffer dans les méandres de l’hypocrisie politique et administrative ?
À Monsieur le Chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune,
Récemment dans ma rencontre-débat avec les citoyens de Sidi-Aïch, wilaya de Bgayet comme plusieurs fois dans mes sorties, je me demandais où est Tamazight dans vos discours ?
Depuis votre investiture, combien de fois avez-vous honoré la langue amazighe dans vos adresses au peuple ? Pourquoi, malgré son officialisation constitutionnelle, refusez-vous de lui accorder un espace dans vos allocutions ? Le symbole de l’Etat ne peut ignorer l’une des racines les plus profondes de la nation. Vos silences sont politiques. Vos silences blessent.
Pourquoi l’Académie de Tamazight promise par la Constitution dort-elle encore dans les tiroirs du pouvoir ?
Neuf ans après la révision de la Constitution (2016), cette institution est toujours sans voix, sans budget, sans pouvoir. Pourquoi ? De quel droit une disposition constitutionnelle reste-t-elle lettre morte alors qu’elle incarne un pilier fondamental de la diversité nationale ?
Qu’attendez-vous pour imposer un enseignement généralisé, obligatoire et structuré de tamazight ?
Les annonces répétées de généralisation sont devenues des mirages politiques. Les chiffres sont là : une minorité d’élèves, une majorité de wilayas ignorées, une précarité extrême du corps enseignant amazighophone. Est-ce cela votre engagement envers l’unité nationale et l’équité territoriale ? Est-ce cela « la Nouvelle Algérie » que vous prétendez incarner ?
Pourquoi l’espace public reste-t-il dominé par une langue unique, alors que deux sont reconnues ?
Lors de notre dernière mandature à l’Assemblée nationale, un projet de règlement intérieur voulait imposer l’Arabe comme seule langue de débat et d’expression. J’avais à l’époque dit clairement : « Je serai le premier à violer ce règlement intérieur qui m’interdirait de m’exprimer avec ma langue maternelle ».
Aujourd’hui, il est regrettable de vous rappeler que ni les institutions, ni les administrations, ni les entreprises publiques ne reflètent la réalité linguistique algérienne. Tamazight reste quasi invisible sur les frontons, absente des documents officiels, méprisée par les structures de l’État. Est-ce conforme à la Constitution ? Est-ce conforme à la vérité du pays ?
À la présidence de la République, à l’Assemblée nationale, au gouvernement, au Conseil constitutionnel, pourquoi tolérer l’illégalité constitutionnelle ?
Le non-respect de l’article 4 de la Constitution est un déni de droit. En votre qualité de premier magistrat du pays, vous avez le devoir de contrôler, corriger, sanctionner. Votre silence, votre inertie, ne feront de vous que les complices d’un effacement méthodique.
Dernièrement lors d’une journée d’étude organisée par le RCD sur l’éducation nationale à Sétif, beaucoup d’intervenants se posaient la question, pourquoi maintenir des lois éducatives qui minorent et ignorent Tamazight ?
La loi d’orientation sur l’éducation (2008) n’a jamais été adaptée à la nouvelle réalité constitutionnelle. Aucun mécanisme n’a été prévu pour intégrer réellement Tamazight comme langue d’instruction obligatoire. Il est temps de légiférer en conformité avec les engagements de la Nation.
Pourquoi aucune politique de recrutement, de formation, de valorisation pour les enseignants amazighophones ?
Les enseignants de tamazight sont les artisans d’une mémoire vivante. Pourtant, ils sont précarisés, marginalisés, parfois humiliés. Vous ne pouvez demander à une langue de vivre tout en assassinant ses vecteurs.
Ce 20 avril 2025, il est important de vous rappeler avec force :
- Nous n’attendrons plus des décennies pour voir Tamazight respectée.
- Nous n’accepterons plus les promesses creuses et les symboles vides.
- Nous n’admettrons plus que les écoles soient instrumentalisées par des clans et des courants rétrogrades pour refuser l’enseignement de Tamazight dans certaines écoles et attenter à l’unité nationale.
- Nous exigeons des actes, des lois, des moyens et une volonté politique claire de réparer cette injustice.
La patience a une limite. Et cette limite est aujourd’hui franchie.
Le combat pour Tamazight n’est pas seulement un combat identitaire, c’est un combat pour la vérité, pour l’intégrité de notre mémoire collective, pour la justice linguistique. L’histoire, la richesse et l’unité de notre pays passent par la reconnaissance pleine et entière de toutes ses composantes identitaires, sans discrimination ni marginalisation. Il ne s’agit pas de choisir entre l’arabe et tamazight. Il s’agit de refuser l’effacement. Il s’agit de bâtir un pays en paix avec toutes ses composantes et racines.
Tamazight vivra. Tamazight vaincra.
Tudert i Tmazight.
Alger, le 19 avril 2025
Atmane Mazouz, Président du #RCD